Classement des bagnes de Guyane par l'UNESCO: discours et soutiens.

Danielle DONET-VINCENT - Historienne.

Saint-Laurent-du-Maroni et l'histoire des bagnes coloniaux.



Danielle DONET-VINCENT - Historienne.

Les bagnes coloniaux: leurs filiations.

L’histoire de ce qu’il est convenu d’appeler le « bagne » de Guyane situe généralement ce châtiment dans la seule lignée des peines judiciaires françaises, en filiation des bagnes portuaires, eux-mêmes héritiers des galères. Si cette sorte de généalogie historique est exacte, elle n’en demeure pas moins partielle.

La simple étude de cette évolution montre, déjà, que le passage de l’une à l’autre de ces peines est directement lié aux évolutions politiques de la France et aux besoins de la Marine. Passé le temps où la Méditerranée se présentait comme le centre de la vie politique, les galères sont devenues obsolètes. Dans le même temps, la France, en rivalité avec l’Angleterre, tournait ses regards vers le continent américain. La Marine, qui gérait les galères royales, eut alors besoin de bâtiments capables de traverser l’Océan rapidement et sûrement. Les bagnes de Brest et Rochefort notamment, avec leurs vastes arsenaux dans lesquels les condamnés ont été employés, répondaient à ces demandes. Ce fait fera dire aux observateurs que « l’Etat spéculait sur le crime ».

La gestion des territoires conquis par la France a été confiée à la Marine. La Guyane faisait partie, au même titre que le Canada ou certaines îles des Caraïbes, de ces territoires nouveaux. Les entrepreneurs chargés de la mise en valeur de ces terres devenues françaises, se virent confier ponctuellement des condamnés qu’ils employèrent, aux côtés des militaires, au défrichage, à la culture, à la mise en place des structures devant fonder des colonies. Des femmes condamnées et des orphelines furent envoyées pour contribuer au peuplement, blanc, de ces régions. Dans le même temps, la traite négrière pourvut en bras dociles le continent sud-américain et la Caraïbe. Cette importation d’esclaves noirs n’avait pas pour but le peuplement mais la satisfaction aux besoins en main-d’œuvre soumise, « peuplement » étant pris dans le sens de population en charge de l’organisation et de la gestion de ces terres.

La Grande Révolution abolit l’esclavage.

Par ailleurs, elle supprima les supplices et inscrivit dans la loi la déportation, c’est-à-dire l’envoi des condamnés hors du territoire national. Les prêtres réfractaires et les opposants politiques, transportés en Guyane, furent parmi les premiers à connaître cette forme d’exil. L’ensemble des discussions du temps autour de cette mesure fait apparaître la volonté affirmée d’éviction sociale, doublée de la notion ouverte d’utilité du condamné : l’homme puni, dont les agissements troublent le pacte social, doit être retranché de la société mais il doit aussi se rendre utile à son pays (CAOM – série bagnes, H1). La recherche de peuplement blanc et de mise en valeur de la Guyane, la plus ancienne de nos colonies devenue première terre d’exil forcé, s’inscrivit dans l’esprit du processus. En même temps, peut-être par un des avatars de la pensée rousseauiste, le travail de la terre était présenté comme devant permettre l’amendement des condamnés et leur transformation en paisibles colons et honnêtes pères de famille. Cette notion de « redressement » des condamnés par le travail fit partie intégrante du paysage mental de tout le XIXe siècle français.

Faut-il chercher la cause de l’interruption du processus uniquement dans la situation politique très trouble du temps et dans les difficultés de navigation liées au blocus anglais ? Faut-il voir dans le rétablissement de l’esclavage le seul fait que l’expérience ait cessé ? L’idée, mise en œuvre par la Grande Révolution, resta quoi qu’il en soit, inscrite profondément dans les esprits ; tous les débats entourant cette question, au cours du Premier Empire puis des Restaurations et de la Seconde République en témoignent.

L’abolition de la traite – et non de l’esclavage – donna un regain d’intérêt à la démarche qui, dans les propos, recouvrait désormais aussi bien les condamnés d’opinion que les condamnés de droit commun. «On fera dans notre colonie [la Guyane] comme à Sydney : des colons citoyens retireront de grands avantages des esclaves de la loi [les condamnés] ; ils auront à souhait, au moyen d’un modique salaire, fixés par des règlements, des laboureurs, des ouvriers, des hommes de peine », écrivait un rapport de la marine, en 1826. Ce système devait, poursuivait le signataire, remplacer les « nègres » dont la traite était abolie. La même année, une note interne des services du Ministère de la Marine parlait de «colonisation [de la Guyane]par la déportation ».

L’esclavage fut définitivement aboli en 1848, provoquant une grave crise économique dans les Antilles et en Guyane, en même temps qu’une profonde crise sociale, la majorité des anciens esclaves se trouvant marginalisés de fait. Le décret du 27 juin 1848, qui décidait de la déportation des participants aux journées de mai et juin, ne cachait nullement sa filiation ; un des membres de la commission mise sur pied à propos de ce texte le disait sans détour : « par suite de l’abolition de l’esclavage dans nos colonies, des bras nombreux vont se trouver libres, de nouveaux besoins vont s’établir ».

La déclaration du Prince Président, deux ans après, n’est que la synthèse des arguments développés au cours du premier XIXe siècle ; elle pose ouvertement et officiellement le principe d’une colonisation par des condamnés : « Six mille condamnés renfermés dans nos bagnes de Toulon, de Brest et de Rochefort, grèvent notre budget d’une charge énorme, se dépravent de plus en plus et menacent incessamment la société. Il a semblé possible de rendre la peine des travaux forcés plus efficace, moins dispendieuse, et, en même temps, plus humaine, en l’utilisant au progrès de la colonisation française » (2). Le décret du 8 décembre 1851 (3), celui du 27 mars 1852, qui permit l’envoi en Guyane des premiers volontaires issus des bagnes portuaires, puis la loi du 30 mai 1854, qui a instauré la transportation des condamnés aux Travaux Forcés, vont faire se rejoindre durablement la question pénale et la question coloniale. Les promoteurs de la mesure cherchèrent une réforme de légitimation en citant l’exemple de la Première République. L’opinion publique, pour sa part, salua cette démarche qui devait débarrasser le sol français de ses forçats, tout en permettant la mise ne valeur de la Guyane, « de raviver son ancienne splendeur perdue par la suite de l’émancipation des noirs, en lui fournissant les bras nécessaires » (4).

2 - Message à l'Assemblée nationale, 30 mai 1850.
3 - Ce décret prévoyait l'envoi en Guyane et/ ou en Algérie des condamnés politiques, les motifs exacts de condamnantion devant déterminer le lieu de déportation.
4 - CAOM, série bagnes, H33. Note de Saillard, directeur adloint des établissments pénitentiaires de la Guyane française, 15 octobre 1853.

Saint-Laurent-du-Maroni, la « ville-bagne ».

Les premiers condamnés furent cantonnés sur les Iles du Salut, où, contre les promesses faites, ils furent rapidement placés sous un régime identique à celui en cours dans nos bagnes portuaires.

Leur nombre augmentant, ils furent envoyés sur « la Grande-Terre » ; un essai de travail agricole fut entrepris à la Montagne d’Argent, sur une ancienne habitation retournée à l’état d’abandon en raison de la fuite des esclaves libérés.

Puis, des camps, s’ouvrirent notamment dans la Comté, où des tentatives de colonisation blanche avaient vainement eu lieu à la fin du XVIIe siècle. Le taux de mortalité y fut très élevé.

A Cayenne, une quarantaine de forçats accouplés au moyen d’une chaîne, tels qu’il s’en voyait à Brest ou à Toulon, constituèrent ce que le Gouverneur appelait un « atelier » préposé à l’entretien de la ville. Le lexique renvoyait encore au temps de l’esclavage, lorsque les Noirs d’une même « habitation » étaient désignés sous ce vocable. Cayenne fut plus tard pourvu d’un premier ponton devenu prison de nuit pour ces hommes.

Les premières tentatives de mise en valeur de la Guyane par les « rebus » de la société française semblaient suivre les pas du modèle colonial ancien : les terres retournées à l’abandon furent rachetées puis agrandies par le travail des forçats. Un des Gouverneurs, notant que les grandes propriétés avaient dépéri faute de bras, qu’elles étaient bordées par une rivière, suggéra d’y conduire les condamnés qui auraient été mis à disposition des propriétaires, en remplacement des esclaves. Le logement et le transport des condamnés devaient se faire sur des pontons-prisons. Ainsi, le condamné transporté débarrassait la métropole et, en Guyane, il devait remplacer l’esclave d’autrefois en ayant sur lui l’avantage d’être renouvelable à moindres frais.

Il fallut les tentatives effroyablement coûteuses en moyens financiers et en hommes des premières années pour que le projet de Saint-Laurent-du-Maroni vît le jour.

En 1856, le Gouverneur suggérait à Paris l’implantation de centres de cultures pénitentiaires, indépendants de Cayenne, sur les berges du Maroni.

L’arrêté de création d’un essai de colonisation pénitentiaire sur les bords du fleuve parut le 22 août 1857.

Le 27, Mélinon, agent de culture qui avait suggéré cette implantation dès 1853, accompagné d’un chirurgien de la marine, de 4 gendarmes, de 15 soldats, de 10 Noirs dits libres, et de 10 transportés, prenait pieds sur les bords du fleuve.

Le 19 septembre, le Gouverneur venait visiter l’emplacement ; le 19 octobre, le premier aumônier s’y installait.

Ce qui constitue la ville actuelle de Saint-Laurent-du-Maroni n’était alors qu’un vaste chantier en pleine forêt équatoriale, sur lequel, à côté des carbets couverts de branchages et abritant personnels et condamnés, brûlaient sans cesse les montagnes de bois impropres aux constructions. Les moustiques pullulaient, apportant déjà leur lot de malaria et de fièvres ; les chiques et autres parasites assaillaient les hommes ; l’eau de boisson provenait du fleuve. Les équipes de forçats, régulièrement grossies de nouveaux arrivants, défrichaient méthodiquement, peinant 11 heures par jour jusqu’en décembre. Le défaut de nourriture, apporté par bateau depuis Cayenne, imposa une modération de l’effort et la journée de travail obligatoire fut ramenée à 9 heures puis à 8 heures. Les concessions agricoles furent attribuées aux libérés par tranches successives, bientôt augmentées de concessions urbaines pour le commerce et les services nécessaires à toute vie en collectivité. Bien que légalement libres, les hommes n’y avaient pas le choix des cultures et des activités ; de plus, ils devaient fournir un temps de travail collectif pour l’entretien des prairies d’élevage. L’emplacement des carbets, leur volume étaient décidés par l’Administration. Tout et tous restaient au service de la colonisation.

Des femmes condamnées vinrent ; issues des prisons françaises, elles étaient volontaires. Les premières arrivées, effrayées, pleurèrent devant la solitude et l’abandon du « désert » dans lequel elles étaient loin d’avoir imaginé à travers les promesses faites. Ces femmes devaient fonder des familles avec les transportés et participer ainsi au peuplement de la Guyane. Mélinon voulait qu’elles fussent i[« de bonnes paysannes, laborieuses ménagères, pieuses ( et non ) des jaseuses, des savantes, engageantes, intrigantes (5), qui mépriseront leurs maris ignorants, causeront du scandale. Nous avons ici, et Dieu en soit béni, guère que des ignorants, ne sachant ni lire, ni écrire ; il n’y en a pas dix sachant bien faire une lettre – or ces savantes, ces intrigantes, si préjudiciables à l’avenir du Maroni, sauront capter d’emblée la faveur des sœurs chargées de les choisir [dans les prisons] : on croira rendre un service en nous les adressant et ce sera un malheur (…) »]i. Elles devraient en outre présenter une « aptitude pour les travaux qui puissent les rendre utiles aux colons auxquels elles pourront être mariées plus tard, c’est à dire qu’elles ne doivent pas être prises parmi les condamnées dames ou grisettes, mais autant que possible, femmes de la campagne ne craignant pas d’associer leur sort à celui de cultivateurs et d’ouvriers destinés à exécuter de rudes travaux »

Les critères de choix de ces condamnées ne sont pas sans rappeler ceux présidant à la sélection des femmes esclaves destinées aux travaux des champs et à l’augmentation des « ateliers » des riches colons.

Les enfants nés des unions organisées furent retirés à leurs parents et confiés aux soins des religieuses chargées de leur éducation. Petits garçons et petites filles devaient devenir de « bons colons ». La mortalité, dans leurs rangs et chez les femmes en couches, a été terrible, largement supérieure à ce qu’elle était en métropole, par défaut de nourriture.

En 1860, 680 condamnés constituaient la population masculine de Saint-Laurent-du-Maroni et de ses camps satellites. Le territoire pénitentiaire était officiellement créé la même année.

La ville née du bagne et ne vivant que par lui a pris progressivement possession de la forêt, en a repoussé les frondaisons, a tracé des rues, a construit des logements pour ses fonctionnaires, un hôpital pour ses malades, un marché pour la population libre qui, peu à peu, est venu vivre dans ce centre pourvoyeur d’emplois, au contact avec les Blancs dégradés et humiliés, avec des Blancs punis travaillant dur et, leur peine achevée, crevant de misère et d’alcool. Elle a balisé le fleuve, elle a construit un appontement et s’est dotée d’un camp de la transportation, avec ses prisons, ses magasins, ses bureaux divers, sa propre guillotine, véritable ville dans la ville, monde marginal au cœur d’un univers atypique dans lequel la règle commune ne s’appliquait pas. Et Saint-Laurent-du-Maroni, « la capitale du bagne » selon l’expression du temps, a reçu des condamnés issus des autres colonies : Indochinois, Noirs d’Afrique et de Madagascar, Antillais, Nord-Africains. Sans le bagne, sans la politique coloniales française du XIXe siècle, Saint-Laurent-du-Maroni n’existerait vraisemblablement pas.

La grande porte du camp de la transportation se dresse toujours à Saint-Laurent-du-Maroni, symbolisant cette période du passé au cours de laquelle la Justice a voulu servir le colonialisme et a offert aux responsables et colons locaux une main-d’œuvre soumise en remplacement des esclaves libérés, et en complément aux populations Indiennes et Africaines engagées volontaires. Ces dernières étaient insuffisantes en nombre et en force pour rendre à la Guyane, selon l’expression employée au XIXe siècle, «sa splendeur perdue par suite de l’émancipation des Noirs» ; les condamnés blancs, puis ceux issus de nos colonie, devaient palier cette défaillance ; ils ont, de ce fait, transformé le pays en « sentine » (6) de la France.

Le camp de la transportation de Saint-Laurent-du-Maroni matérialise un pan entier de la politique coloniale française, tout autant qu’il raconte un moment de la Justice du pays. Il dit une période trouble de notre histoire au cours de laquelle, dans le regret à peine masqué de l’abolition de l’esclavage, une autre forme de servilité a été recherchée, légalisée par tout un arsenal législatif, et soutenue par un discours aux colorations faussement humanistes.

Les bâtiments du camp de la transportation constituent un témoignage de l’histoire pour les Français de Guyane et de métropole. Mais ils dépassent l’horizon de ces populations car, au cœur de la ville produite par le bagne, en ancienne terre coloniale, ils matérialisent le dévoiement d’idéologies politiques oublieuses du respect de l’être humain. En cela, avec leur histoire, ils appartiennent au monde.

5 - Souligné dans le texte.
6 - L'expression de Gaston Monnerville

Danielle DONET-VINCENT – historienne.
Le 29 mai 2006.

A lire également: Les "bagnes" des Indochinois en Guyane (1931-1963)

Samedi 24 Juin 2006
Yvan MARCOU
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1.Posté par Gauiter-valentin Martine le 26/02/2007 12:04 | Alerter
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Bonjour,

Pourriez-vous me dire où je peux trouver des renseignements sur Jules, Sydonien MESSAGER né le 28/08/1840 à 89 Chamvres et décédé le 12/08/1900 à Saint Jean de Maroni GUYANE

Je pense qu'il était bagnanrd ??
C'est mon arrière arrière grand père paternel et je souhaite compléter mon arbre généalogique

merci d'accepter de me répondre
cordialement

2.Posté par Gauiter-valentin Martine le 23/03/2007 16:51 | Alerter
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Bonjour, et merci de votre réponse, mais je pense que mon ancêtre n'est pas arrivé en guyane avant 1885 date de naissance de son dernier fils
Or il semble que vos recherches portent sur une période plus ancienne

bien cordialement

martine gautier-valentin
mgautier40@wanadoo.fr

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